Eveil – partie 2

Je décidais de me redonner une illusion d’humanité, aussi je passais quelques heures à me fabriquer un pagne ainsi que des sortes de sandales rudimentaires.

Puis je me mettais en route. Le « vers où » n’avait alors pas vraiment d’importance. L’idée était de rester en mouvement et tenter de trouver quoi que ce soit qui puisse m’aidé.

Cette journée fut placée sous le signe de la découverte. La terreur des jours précédents ayant quelque peu refluée, je pouvais apprécier mon environnement. Mes yeux s’étant habitués à la pénombre ambiante, je prenais conscience de ce qui m’entouraient : arbres aux écorces inconnues, lianes, mousses, buissons aux feuilles étranges, fleurs au parfum entêtant, champignons aux vives couleurs. Les oiseaux étaient nombreux mais m’étaient tous inconnus et de nombreuses traces d’animaux me maintenait en alerte constante.

Je rencontrais d’ailleurs quelques-uns des animaux locaux, heureusement tous herbivores (ou en tout cas, ne désirant pas m’ajouter à leur menu, je vous renvoie à mon livret de zoologie pour une liste plus ou moins exhaustive si vous êtes curieux).

Mentionnons tout de même une sorte de cochon d’inde géant aux incisives acérées qui se nourrit d’écorce, un paresseux insectivore qui possède de longues griffes coupantes ainsi qu’une langue fine mais longue qui lui sert à attraper sa nourriture ou une sorte de serpent qui chasse les oiseaux comme une grenouille chasse les insectes.

Je découvrais également un arbre dont les fruits ressemblaient à des poires dont les animaux semblaient raffoler au vu du nombre de fruit à moitié dévorés que je trouvais à proximité. Imaginez une poire, longue et boursouflé vers le bas, comme si tout le contenu avait « coulé » vers le sol, mettez-lui une couleur rouge-orange, une peau épaisse et amère et vous aurez une bonne idée d’a quoi ressemble ce fruit. Heureusement, l’intérieur forme une sorte de patte, sucrée et épaisse et les graines étant presque toutes localisée dans la partie fine, il est relativement facile de les retirer. Ces fruits allaient vite devenir la base de mon alimentation.

Alors sachez que le passage d’un régime riche et varié à un régime composé exclusivement d’eau boueuse et de fruits frais n’eut pas vraiment des effets très plaisants sur mon système digestif.

Vous qui me lisez, vous vous demandez sans doute pourquoi je le précise ? Disons simplement que c’est une part de « l’aventure » qui est presque toujours laissé de côté dans les écrits, mais qui est bien réelle, et qu’il ne faut surtout pas oublier. La déshydratation est un ennemi bien plus dangereux et insidieux que la faim.

Bref, revenons à notre histoire.

A la fin de la journée, je devais faire une nouvelle découverte qui m’ébranla profondément : un corps, humain, male, de mon âge, qui gisait au sol, sans vie, il avait été mordu par un animal à l’épaule, la plaie avait pris une couleur noire et suintait encore un pu jaunâtre et malodorant. Que ce soit dû à l’infection ou l’empoisonnement mon cerveau ne se posa pas la question.

Je vomissais.

En fouillant autours de lui, je ramassais une bourse et son contenu, identique à la mienne mais surtout j’en arrivait à la conclusion qu’il avait marché jusqu’à s’effondrer. Je le touchais pour prendre sa température et il était encore assez chaud pour que sa mort soit assez récente. Sa nudité n’était qu’un détail face au fait que ma première rencontre avec un être humain, était avec un cadavre.

A quelques heures, peut-être même heures près, j’aurais pu avoir un compagnon de route, peut-être même que j’aurais pu le sauver ou empêcher qu’il se fasse attaquer…

Ou peut être qu’il n’y aurait eu que deux cadavres au lieu d’un à cet endroit…

Prendre conscience de sa vulnérabilité dans ce genre de situation n’est pas une expérience agréable, et alors que la panique m’envahissait de nouveau, je fuyais le lieu, la bouche pleine du gout acide de mon vomit et de l’amertume de ne pas avoir pris le temps de l’enterrer convenablement, mais l’idée que le prédateur l’ayant tué soit encore dans les parages me terrifiait.

Je décidais de monter à un arbre pour la nuit. J’en avait repéré un dont les branches étaient larges, c’était pour moi une bonne chose puisque je pensais que cela réduirait mes risques de tomber pendant la nuit.

C’eut été une bonne idée, si l’arbre en question n’avais pas été un gluttier. Au cas où vous ne voyez pas ce que c’est, imaginez un arbre assez classique mais qui, pour fleurir, a besoin de protéines animales. Les larges branches qu’il a sont recouverte d’une pellicule de « glue » très sucrée. Dure en période sèche, la glue devient liquide (et donc collante) quand mouillée, d’ordinaire, sous les coups de langue des petits animaux qui viennent lécher le ‘’sucre ‘’. Le temps faisant son œuvre, si l’animal n’arrive pas à se dégager (souvent en s’arrachant la langue) il finit par mourir, et en se décomposant, tombe au pied du gluttier.

Quel rapport avec mon histoire ? Eh bien si vous avez suivi, il a plu la veille, autrement dit, le gluttier était encore tout collant, mais entre la découverte du corps qui m’avait secouée, la peur d’un prédateur dans les parages et le fait qu’à l’époque, je ne connaissais pas ce qu’était un gluttier, je ne me méfiais pas.

Aussi, quand la glue eu pris, je me retrouvais donc piégé, seul, la nuit, à 2 mètres de haut.

A la merci de tous ce qui aurait voulu faire de moi son repas.

C’est facile d’en rire, si longtemps après, alors que vous êtes probablement confortablement assis dans une chaise. Mais au moment, j’avais surtout l’impression que ce monde ne cherchait qu’à nous tuer tous. Je n’étais visiblement pas seul, mais entre les prédateurs, la faim, le désespoir, les maladies, le fait qu’on ne connaisse RIEN au monde qui nous entourait, je commençais à croire que je ne croiserais aucun autre humain. Ce qui aurait peut-être mieux valut, ceci dit…

Je m’égare de nouveau…

Je m’arrachais, littéralement, donc de cet arbre, perdant une bonne partie de mes poils et mettant ma peau a vif à plusieurs endroits avant de finir par dormir dans un autre arbre, où j’espérais ne pas faire de nouvelle découverte plus dangereuse encore.

Au matin, je décidais de monter haut dans l’arbre pour tenter de m’orienter et déchaper à l’ambiance étouffante de la forêt sombre qui m’entourait. Ma torpeur matinale avait presque disparue, à croire que l’instinct de survie prenait le pas.

Après quelques minutes de grimpe, j’émergeait au-dessus de la canopée des arbres et obtenait un large panorama sur les environs. Le soleil était à l’horizon et je décidais donc que cette direction serait « l’est ». Bien sûr, c’était totalement arbitraire, mais au moment cela me servait à réduire cette impression d’être complètement perdu. Tout autour de moi la forêt s’étendait à perte de vue, telle une mer de jade, je remarquais qu’au loin elle semblait plus « claire » qu’à proximité de ma position, je supposais donc que la forêt était moins vielle, ou, au moins, moins profonde.

Au sud, brisant l’horizon de jade, une grande chaine de montagne dont les sommets se perdaient dans les nuages. La forêt prenait une teinte sombre, presque noire, je supposais à cause de la présence de sapin ou assimilé.

Une fois descendu, je prenais un frugal petit déjeuner en mangeant quelques baies, fruit et racines que j’espérais comestible (plus d’une fois j’entends). Puis, pour la première fois depuis ce matin fatidique, j’avais le temps de penser à ce que j’allais faire…

Bien que je n’eusse pas vraiment identifié de destinations précises, j’avais une vague idée de ce qui pouvait m’attendre selon la direction que je prendrais.

A l’ouest, la forêt restait comme ici, cela voulait dire une forêt vielle et sombre avec, sans doute, moult prédateurs et pièges naturels, mais aussi des fruits et racines qui m ‘assurerais la survie.

Au nord et à l’est la forêt s’éclaircissait, ce qui pouvait finir par donner sur des plaines, ou une barrière naturelle inconnue. Si la survie y était sans doute facile, cela voulait aussi dire que je serais beaucoup plus exposé, sans pour autant réduire la quantité de prédateurs potentiels.

Au sud, les montagnes. Si cela voulait dire température plus froide et vraisemblablement moins de nourriture, cela voulait aussi dire de grandes chances de trouver un cours d’eau que je pourrais ensuite descendre. Mais aussi, des prédateurs plus féroces. Sans compter sur les risques accrus d’accidents, je n’aimais guère l’idée de me retrouver emporté par une avalanche ou écrasé par un éboulement…

D’un autre côté, dans la montagne, j’espérais pouvoir trouver des matériaux utiles pour me fabriquer divers outils. Du silex par exemple ou de l’obsidienne. Et pourquoi pas, du métal. Le travailler serait une autre paire de manche, mais ayant déjà fait un peu de forge, j’avais assez de bases pour arriver à faire quelque chose, du moins c’est ce que j’espérais.

Je prenais quelques minutes pour réfléchir à mes choix, et j’arrivais à la conclusion que n’ayant rien à perdre, la montagne avait le meilleur ratio risque/récompenses.

Armé de mon pagne en fougère, de mes sandales en écorces et de mes deux bourses en cuir, je me mettais en route.

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