Eveil – partie 3

La journée se déroula sans incident majeur, dans la forêt, le plafond de feuille ne laissait passer qu’une lumière faible et tamisée, laissant le sol en permanence frais et humide. Sans doute pour couvrir l’odeur entêtante de l’humus, des champignons et du bois pourris, les fleurs et arbres divers avaient développés de puissants arômes. Or avec l’air étant très immobile, cela créait des poches enivrantes d’odeur qui pouvait rapidement étourdir et désorienter.

Bien sur le sol de la forêt était truffé de pièges naturels en tout genre mais même si mes pieds étaient en sang et meurtris, la douleur commençait à être familière et se faisait moins présente.

Un changement inattendu s’opéra durant l’après-midi : je découvrais un lac dont l’eau était un peu plus claire que les marres que j’avais croisé jusqu’à présent. N’étant plus à un risque de maladie prêt, je décidais donc de boire tout mon saoul et profiter de la relative clarté de l’eau pour me laver. Le lac était froid mais je n’en avais plus grand chose à faire, se nettoyer me fit un bien fou, de pouvoir faire disparaître les traces de boue, sang et autre était un luxe à ce stade.

Pendant ma baignade je prenais le temps de profiter du paysage, la berge était ombragée, fraîche et tranquille. La bordure de la forêt était composée d’arbre au feuillage tombant, créant une sorte de rideau vert donnant une sensation de sanctuaire au lac.

L’eau était tout de même un peu boueuse, mais étant un lac, ce n’était guère étonnant. Je me doutais qu’il était poissonneux car il y avait de nombreux endroits où des bulles venaient percer la surface. Alors que je me prélassais dans l’eau, je m’imaginais déjà attraper un poisson, peut être tenter d’allumer un feu, manger chaud…

Profitant de cet instant de paix, la pression de ces derniers jours retomba. Je sentis mes muscles se détendre, l’eau apaisant les multiples écorchures et coupures que je m’étais fait. Pour la première fois, je pouvais me relaxer.

Ne rien faire.

Rester calme.

Sentir le soleil, le vent et l’eau sur ma peau.

L’air était frais ici, l’odeur entêtante de champignon, mousses et humus avait disparu, remplacée par une doucereuse odeur légèrement sucrée.

Je me laissais porter par le faible courant, flottant à la surface du lac et fermant les yeux pour profiter de cet instant de paix.

Je commençais à m’endormir quand des bulles éclatèrent lentement près de moi, avec un audible « plop », comme au ralentit, comme si l’eau était bien plus boueuse que liquide.

J’ouvrit les yeux pour identifier d’où venais le bruit et remarquait que j’étais presque au centre du lac. Là où les bulles avaient éclaté, je voyais une forme sombre commencer à remonter. Craignant un prédateur, je commençais à nager dans la direction de la rive, tout en gardant un œil derrière moi.

Une nouvelle bulle, plus grosse révélât ce qui venait de remonter à la surface : un cadavre humain, le visage à moitié décomposé et rongé par la moisissure, quelques lambeaux de cheveux encore attaché au crane qui semblait me regarder de ses orbites mêlant chaire et vase.

La surprise fut totale, mes sens passant en alerte, tout le bien que m’avait fait ma baignade venait de s’évaporer en un instant. J’accélérais pour atteindre la berge, pataugeant dans cette sorte de boue.

Le pire fut que je compris d’où venait cette odeur doucereuse qui flottait sur le lac. C’était celle de cette moisissure.

Tout s’accéléra. Je sentis quelque chose me frôler la jambe. Je nageais de toutes mes forces. Remarquait qu’une fine couche de vase me recouvrait. Remouds sur ma droite. Une forme sombre, deux puis trois, passèrent tout prêt de moi. Quelque chose s’enroula autours de ma jambe et ce fut comme si des centaines de bouches se mettaient à mordre ma jambe. Pire encore, la chose se mit à tirer vers le fond, m’emportant par surprise. Je hurlais. Gâchant mon oxygène, nageant comme un forcené pour regagner la surface.

La berge n’était qu’à quelques mètres. Si loin…

Une seconde chose visqueuse s’enroula autours de mon bras. Je me retrouvais de nouveau sous l’eau. Avec l’énergie du désespoir, je griffais les choses en espérant les faire lâcher.

Je manquais d’air. Je sentais mon corps prêt à prendre une grande inspiration, ce qui aurait signifié ma mort. Je donnais un ultime coup de pied, tentant de regagner l’air libre.

Je perçais la surface une demi seconde avant de me faire de nouveau emporter. Ç’avait été suffisant pour reprendre un peu d’air. De plus J’avais vu une branche basse ! Je poussais de nouveau, mes pieds touchant le fond vaseux du lac cette fois ci ! J’étais si prêt du bord que j’espérais m’en sortir rapidement. J’agrippais la branche et m’y tenait de toutes mes forces.

Mais la créature ne lâchât pas. Un autre tentacule sortit de l’eau et s’enroula autours de ma jambe déjà prisonnière. La branche se tordit dangereusement mais ne cédât pas.

La première poussée d’adrénaline passée, je sentais maintenant la fatigue reprendre ses droits, mes forces me lâchant petit à petit. Les tentacules étaient équipés d’une multitude de petites bouches qui rongeaient ma peau là où elles le pouvaient. C’était comme si des milliers d’aiguilles se plantaient dans mon corps, encore, et encore, et encore.

Je ne saurais dire pendant combien de temps la créature tenta de m’emporter, la douleur était mon monde, le temps n’avait plus d’importance. Mais elle finit par renoncer, me laissant seul, accroché à ma branche comme un forcené, ensanglanté, boueux, meurtris et terrorisé mais vivant…

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